• Tabou parmi les tabous

    Tabou parmi les tabous (par Di)

     

     

     

     

     

     

     

     

    Jonas attend chez lui Jeff Allaire, le pilote, du fougueux Falcon de la TEF. Quand Jonas l’avait retrouvé par hasard chez Thémis lors de son engagement, il était heureux de retrouver cet ami de collège et d’université. Jeff était un bon gars, intelligent, généreux, fort en sports, dont toutes les filles raffolaient. Pendant leurs études universitaires, Jeff était tombé en amour par-dessus-la tête avec Joée Potelin qui l’avait conduit aux pieds de l’autel à la vitesse d’un jaguar. Deux mois plus tard, Jeff annonçait que Joée était enceinte des plus beaux jumeaux du monde, un garçon et une fille. Quel bonheur ! Elle voulait vivre dans la ville de Québec et  Jeff avait ouvert un bureau d’avocat là-bas. Trop occupés à construire leur vie et leur carrière respective, ils ne s’étaient plus revus par la suite. L’occasion se présentait ce soir de l’inviter à souper chez lui pour renouer leurs liens amicaux. Comme convenu à 18 heures, Jeff sonne à la porte en tenant une caisse de 12 bières « Celle du Chef ».

    -    Salut Jonas ! Tiens … Tu veux une bonne « Celle du Chef » ben frette qui sort direct du frigo du dépanneur du coin ?

    -    Yéééé ! On va pas la laisser réchauffer, han mon Jeff ?

    -    Non, mon chum ! Et puis tiens, je t’apporte un gâteau que ma mère a cuisiné pour toi quand elle a su que je te voyais ce soir…

    -    Elle va bien ta mère ? Toujours en forme ?

    -    … Ouais ! … Super bien ! … Je peux ranger les autres bières dans ton frigo ?

    -    Vas-y, oui. Dis donc toi … Regarde moi là. C’est pas un « black eye » qui décore ta face du côté droit ? 

    -    Oh c’est rien. Je me suis cogné sur la bande de la patinoire en jouant au hockey hier soir…

    -    Sacradjok ! T’as pas eu de chance !

    -    C’est sûr, c’est sûr …

    -    Tu joues dans une équipe ?

    -    Ouais ! Avec l’équipe des p’tits vieux de 40 ans et plus. Hier on jouait la dernière partie de la saison contre « La bande de croulants d’en face » On a gagné le trophée de l’année…

    -    Yessss ! You are the Champions ! Mais tu t’es cogné fort en ciboulot…

    -    Ouais !

    -    Tu t’es cassé une dent aussi ? Pendant la partie de hockey ?

    -    Non ! C’est rien ça ! … … … C’est en croquant dans une pomme que la dent est tombée. Mon dentiste va la réparer cette semaine.

    -    Ouais ! (répond Jonas, dubitatif)

    Les deux amis retournent en arrière dans leurs souvenirs alors qu’ils allaient au collège Grasset, du bon temps de la boîte à chanson Yodel, des chansonniers, du Café Campus, des chalets qu’ils avaient loués, des filles. Et blablabla … Et blablabla … Bière après bière et rire après rire, le temps passe comme un charme.

    -    Et puis regarde Jonas un vin que j’ai trouvé pour accompagner tes fameuses escalopes de veau au beurre et persil : « Palais de la Soif  ». C’est pas beau ça ?

     

    -    Juste le nom me donne le vin à la bouche… 

    -    C’est sûr, c’est sûr. C’est un vin du Québec … … … Ouais ! La viande est tendre. Eh ben, j’vais te dire mon gars que t’as pas perdu la main en cuisine. Esti qui sont bonnes tes escalopes de veau !

    -    Et toi, tu perds pas ton appétit. Tu veux encore des haricots ? Oui ?

    -    Ouais ! On ouvre une autre bouteille de vin ?

    -    On mange avec les yeux et on étanche sa soif en salivant, han Jeff ? Moi j’ai le gosier sec comme un ruisseau tari…

    -    Je ris pas Jonas. J’ai tellement soif que je ravalerais mes larmes pour hydrater ma rate...

    -     ???  Bon écoute Jeff. On est entre gars et depuis le temps qu’on se connaît, on va se dire les vraies affaires ? Han ? C’est quoi cet œil au beurre noir ? Tu t’es battu avec un gars ? Et là, sur ton avant bras, c’est ton chien qui t’a mordu ?

    -    Aie ! Touche pas à ça ! C’est sensible !

    -    C’est pas parce que ça n’saigne pas que ça n’fait pas mal. C’est tant saignant à l’intérieur de toi, Jeff ? 

    -    Ouais !

    -    Tu t’es fait tant secouer que tu t’es tant fermé en toi ?

    -    Ouais ! Elle m’a tant tassée que je suis enfermé…

    -    Je te tends la main pour t’aider à sortir du trou dans lequel tu es tant foncé…   

    -    Je suis tant crotté, mais je suis content que tu m’aies tant tendu l’oreille…

    -    C’est entendu qu’il faut s’entraider. J’ai l’impression que tu vas directement vers la cassetastrophe…

    -    Je suis tant tendu mais je vais boire une « Celle du Chef ». Cela va me relaxer.

    -    Mais la bière ne va pas t’entraîner vers la guérison. On est rendu au digestif.

    -    Je vais prendre un verre de Tia Maria.

    -    Mais toi, ça va avec Joée ? Et tes enfants ?

    -    Ouais ! Avec les jumeaux, ça va … et je suis grand-père quatre fois.

    -    Et avec Joée, ça va ?

    -    Bah ! Nouuiiii !

    -    Ecoute Jeff. J’ai l’impression que tu me caches quelque chose, un tabou parmi les tabous, « Les hommes battus ». J’ai un test ici inventé par un chercheur de la CIA qui décèle la moindre défaillance des neurones lorsque le sujet testé souffre de violence verbale. Tu veux passer le test du « Ah oui » ? Oui ? Je t’installe des électrodes sur la poitrine qui vont m’indiquer la fréquence des battements de ton cœur et ton niveau de stress lors d’une invasion de violence psychologique et/ou verbale. Voilà ! Tout est en place et le test commence tout de suite. Dis-moi quelque chose Jeff, n’importe quoi.

    -    Ben ! Si ça peut me dérider, ça va peut-être me faire rire (répond Jeff)

    -    Ah oui ? (dit Jonas d’un ton méfiant)

    -    Cet esti de « Ah oui ! » douteux sape ma confiance (répond Jeff d’un ton sans rire)

    -    Ah oui ? (dit Jonas d’un ton intéressé)

    -    Ouais ! Mais avant j’avais de l’assurance (dit Jeff d’un ton défiant)

    -    Ah oui ? (dit Jonas d’un ton moqueur)

    -    À vrai dire, pas tellement non plus (dit Jeff d’un ton déçu)

    -    Ah oui ! (dit Jonas d’un ton assuré)

    -    Mais j’ai quand même du jugement. Non ? (dit Jeff)

    -    Ah oui ? (dit Jonas d’un ton incrédule)

    -    A bien y penser, j’ai peu de choses (dit Jeff)

    -    Ah oui ? (dit Jonas d’un ton sceptique)

    -    Heu non ! Je n’ai rien, dit Jeff

    -    Ah oui ! (dit Jonas d’un ton sans cœur)

    -    Vraiment ! Je ne suis rien (dit Jeff)

    -    Ah oui ? (d’un ton moqueur)

    -    Je vaux un gros zéro (dit Jeff)

    -    Ah oui ! dit Jonas d’un ton affirmatif

    -    C’est écrit partout dans ma vie depuis que …

    -    Ah oui ? (sur un ton ennuyé) …

    Jonas retire les électrodes et obtient les résultats sous forme de diagrammes et de chiffres. Pendant qu’ils mangent des fromages et tout le gâteau, il interprète les résultats à Jeff.

    -    Ben voilà Jeff. Quand le candidat qui passe ce test à la CIA, et qu’il se traite lui-même de « rien » en moins de 30 « Ah oui », il s’agit alors d’un signe significatif, qui conduit invariablement à une profonde dépression. À chacun de mes « Ah oui », le nombre de tes battements de cœur s’élève et ton pouls fait une chute impressionnante. Ceci indique que ton estime de soi prend une sérieuse débarque et que tu es au bord d’un précipice …  

    -    Ouais ! A vrai dire, avec Joée, je vis continuellement dans un sac à chicanes. Pendant ce temps les microbes entrent dans sa bouche et se font un party dégueulasse. Les mots se brouillent entre ses dents et en ressortent violemment. Elle me lance des mots en flèches, des mots qui font mal, des mots qui tuent. J’en ai ras l’bol…

     

    -    Pourtant, voici 25 ans tu l’idolâtrais…

    -    Quand j’ai rencontré Joée, elle était tellement fine. Elle me bombardait de bulles d’amour le jour et la nuit elle me charmait avec ses boules d’amour. Comment lui résister ? C’était le Paradis ! Elle me laissait entrevoir un avenir sans failles, moi son preux chevalier peureux depuis, qui la défendrait envers et contre tous et Joée, la reine des reines. Depuis longtemps déjà, je rase les murs à quatre pattes pour éviter son regard mordant … et ne pas entendre ses mots décapants…

    -    Tu parles d’un sujet tabou où les hommes ne sont jamais crus. Les hommes battus, ça fait sourire et ça fait rire parce qu’on se fait la fausse image d’une bonne femme en bigoudis qui attend son mari avec un rouleau à pâte ... Mais la violence commence bien avant ça…

    -    Quand Joée pogne les nerfs, je risque de la blesser en me protégeant. Tu imagines ? Elle est capable de se cogner au mur et d’appeler la police en les convainquant que c’est moi qui l’ai battue. Elle est assez habile pour faire croire n’importe quoi à un juge pour me nuire. Hahaha ! … Ca me fait rigoler rien que de penser qu’en réalité l’homme battu dont je parle est moi-même…  

    -    La barbarie n’a pas de sexe, mon chum, dit Jonas. Et avec une violence insidieuse, on en vient à commettre de sa propre main l’assassinat commandé par un autre et comme sa main n’a touché à rien, il est toujours innocent…

    -    Ta farce est pas drôle, dit Jeff…

    -    Il faut bien rire des fois quand le sourire est interdit…

    -    Elle doit bien avoir quelque chose de bien ta femme ?

    -    Pour faire l’amour, alors là quand elle veut, Joée c’est une déesse !

    -    Et le lendemain, elle te demande quelque chose et elle l’obtient ?

    -    Ben tu parles que oui. Sinon elle menace de faire la grève du sexe. Hahaha ! Non, mais c’est juste une chicane de couple et c’est ma faute. Oublie ça Jonas. Je vais arriver à la changer comme elle était au début.

    -    Essaie pas de l’excuser et surtout ne fais pas de déni. Le phénomène des hommes battus reste un tabou souterrain mal compris des gens mais cela doit être dit pour que les victimes sachent où s’adresser pour se faire aider.

    -    J’ai ma fierté d’homme. Aie ! Tout le monde la voit comme une star. C’est humiliant pour un homme de se faire agresser psychologiquement,

    mais physiquement, c’est honteux. J’ai abandonné ma famille pour elle. Tu m’dis pas que j’ai fait tout ça pour rien ? Hahaha !

    -    Tu vois plus ta mère non plus ? Le gâteau vient de toi, alors. Jeff, ta femme te bat psychologiquement et physiquement. Avant tout, tu dois admettre que tu es sous sa domination et qu’elle ne changera pas. Ce soir on est trop gorlot et tu vas dormir chez moi. Demain on en reparlera. Cela va t’éviter de manger une volée en entrant après minuit. (Il compose un numéro.) Ça ne répond pas chez toi mais j’ai laissé un message.

    Le lendemain matin, Jeff retourne chez lui avec les informations nécessaires pour faire une demande de divorce et le numéro d’un très bon avocat. Angélique est chez elle et se prépare à partir pour un rendez-vous avec un délateur, quand elle entend frapper. Elle regarde par l’œil de la porte et aperçoit une femme qu’elle ne connaît pas. Elle entr’ouvre la porte et la femme la pousse brusquement. Angélique tombe par terre et la femme la regarde de haut…

    -    C’est toi Angélique Angélaste ? Tu pensais pas que mon mari gardait ton adresse dans un  tiroir secret ? Hein ma cibolak ? Il est où mon mari ? Où ? Dis le, salope…

    Sans crier gare, elle gifle Angélique en la faisant tomber de nouveau et court vers la porte d’ascenseur qui s’ouvre à ce moment. Angélique se relève et la poursuit mais la porte se referme à trois pas de son arrivée, la laissant dans l’ignorance la plus complète. Le téléphone sonne, c’est Jonas. Elle lui raconte l’agression dont elle vient d’être victime et que les doigts de l’agresseuse sont imprimés dans son visage. Jonas lui conseille de souffrir cinq ou dix minutes de plus, en évitant d’appliquer de la glace au visage, afin de lui laisser prendre ses empreintes digitales. Il se doute bien que c’est Joée.

     

     

     

     

     

     

     

    Di

     

     

     

     

     

    « Ici on vous présente les acteurs des aventures de l'agence ThémisLe supplice de la babiche »

  • Commentaires

    1
    Samedi 21 Septembre 2013 à 16:01

    Coucou Di, et le trio ! Dis donc, Di, Jeff Allaire se croit un moins que rien, pourtant il a commencé par être avocat et il est maintenant pilote de Falcon 7X, ce n'est pas rien comme avion non plus ! Hum, à trop vouloir dissimuler la violence de sa femme, il aurait peut-être fini par craquer, par exemple aux commandes de son Falcon ... Ouf, maintenant le pot est aux roses (!), tout est découvert !

    Sujet tabou en effet, que celui des hommes battus, merci beaucoup de l'avoir mis en lumière, par le biais de la fantaisie qui est la tienne.

    "Souffrir cinq minutes de plus" pour que les marques se voient bien, pauvre Angélique ! Vilaine que je suis, je ne peux m'empêcher de rire ... Mais je me dirige vers la suite avec appréhension. Bizzz !

    2
    Samedi 21 Septembre 2013 à 18:02

    les femmes comme les hommes peuvent êre méchantes mais il faut oser en parler sinon on plonge

    3
    Dimanche 22 Septembre 2013 à 09:16

      M'sieur Aganticus, t'as oublié de mettre un titre à cet épisode, le titre est bien dans le texte, mais pas dans la case "titre", j'ai compris parce que cela m'est arrivé aussi dernièrement ... C'est pour cela qu'il ne figure pas dans la colonne de gauche.

    4
    Dimanche 22 Septembre 2013 à 14:34

    OK rectifié désolé mais en ce moment je suis t' à bout...

    5
    Dimanche 22 Septembre 2013 à 16:58

    Mais pas battu, ni vaincu ? J'espère bien ...

    6
    Dimanche 22 Septembre 2013 à 19:16

    Ce qui ne me tue pas me laisse en vie...

    7
    Dimanche 22 Septembre 2013 à 22:43

    En effet, bravo pour cette conclusion philosophique !

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